En 1975, à l’Ecole d’ingénieurs de Bienne où il étudie dans une ville au taux de chômage de plus de 10%, il est le premier de sa classe à trouver un emploi. «C’était un jeune passionné, dynamique et impertinent. Il n’hésitait pas à contredire son chef pour défendre ses projets, ce qui est rare», se souvient Ernst Thomke. «Il était comme un cheval fougueux. Il fallait savoir le guider».
Ensuite, il y a la Swatch et sa légende.
En 1980, une séance mémorable lors de laquelle le jeune ingénieur Elmar Mock, spécialisé dans les plastiques polymères, doit justifier l’achat d’une machine de moulage par injection de 500’000 francs auprès d’Ernst Thomke, le patron d’ETA. Une véritable folie alors que l’industrie horlogère suisse est en pleine agonie. Le boss est furieux face à une dépense «irresponsable», mais finit par se calmer lorsque son employé lui soumet de premières esquisses de cette montre en plastique iconoclaste. La suite est connue.
Traversée du désert
Après le bref moment de gloire dû au succès de la Swatch, Elmar Mock quitte rapidement ETA pour créer sa propre entreprise en 1986. Persuadé que le monde n’attend que son génie, il connaît une longue traversée du désert. Creaholic ne décolle qu’au milieu des années 1990 pour devenir une fabrique de l’innovation. «L’une des clés de voûte de la construction de la Swatch est le soudage du plastique par ultrasons. Nous avons poursuivi nos recherches dans cette voie», raconte Elmar Mock. Pour Ikea notamment, Creaholic développe des solutions permettant de souder du bois. Puis elle réussit même à souder des os pour un secteur médical qui n’y croyait pas au départ.
Les clients de la société biennoise sont des entreprises ayant pignon sur rue. Pour celles-ci, innover relève un peu de la schizophrénie. Elles doivent à la fois assurer le présent, ce qui implique un certain conservatisme, tout en devant préparer l’avenir grâce à des produits disruptifs. «L’innovation est un labyrinthe et l’important est de se mettre en mouvement. Mais il faut savoir sortir du labyrinthe avec un produit concret capable de conquérir le marché», souligne Elmar Mock, qui adore citer Charles de Gaulle: «Des chercheurs qui cherchent, on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche!»
Profits redistribués
Creaholic? Une sorte de «kolkhoze capitaliste», lâche son fondateur, un champion de l’autodérision. L’entreprise appartient à ses employés et ne génère des profits pour les leur redistribuer. Ici, l’écart entre le plus haut et le plus bas salaire ne dépasse pas un multiplicateur de 2,6. Elmar Mock gagne pour sa part quelque 200’000 francs par an.
Agé de 63 ans, l’ingénieur travaille désormais à la pérennité de l’entreprise. L’an dernier, Creaholic accueillait 25 nouveaux collaborateurs issus de la cellule d’innovation de Swisscom, qui a pris une part de 5% du capital.
Elmar Mock s’est déjà retiré de la direction opérationnelle, ne siégeant plus qu’au conseil d’administration. «Je suis devenu un vieux sage. Non, plutôt un vieux singe!»
Conférences inspirantes
S’il est toujours à la tête de Creaholic, aujourd’hui, Elmar Mock transmet sa vision de l’innovation, empreinte d’anecdotes, de références et de métaphores, en donnant des conférences à travers le monde. Et ce féru de langage imagé de conclure par une métaphore (rapportée par un proche) qu’il affectionne tout particulièrement.
«Il existe deux sortes de chiens. Celui qui, assis au pied de son maître, attend ses ordres pour aller chercher la proie et la lui ramener. Ils constituent l’immense majorité. Et l’autre espèce qui n’obéit pas, piste la proie sans savoir où il va, mais la poursuit jusqu’à ce qu’il la trouve. On ne peut intervertir leurs rôles. Ils sont programmés ainsi.» Et la société a besoin des deux.